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Ambassadeurs populaires, essor de la culture street, défilé dans des supermarchés… Le luxe cherche de plus en plus à se rapprocher de ses consommateurs, ce qui pourrait lui faire perdre son aura. À moins que…

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Tribune Stratégie 100% Luxe

Le luxe est né de l’inaccessibilité. Son exclusivité consacrait son piédestal. Aujourd’hui, les mutations de la consommation et l’essor des réseaux sociaux viennent négocier cette aura. Les consommateurs cherchent une résonnance culturelle et intellectuelle avec les marques. Une consommation identitaire qu’attisent les réseaux sociaux, avides de rapports directs et affinitaires auxquels le luxe n’est, par essence, pas habitué.

Dans cette quête de proximité, il est légitime de se demander à quel point les marques de luxe n’hésitent pas à ébrécher leur part de mystère. Chanel défile dans un supermarché, manifeste dans la rue, s’affiche dans le métro. Virgil Abloh signe une collection pour Ikea. Balenciaga lance un jeu vidéo aux accents Fortnite. Stella McCartney ouvre ses rangs à Disney Fantasia… La culture populaire est devenue le nouveau Graal et les maisons de luxe s’affichent désormais dans la rue.

Là est le renversement : par définition noble et confidentiel, le luxe devient prosaïque, vu et su de tous. Il n’adresse plus l’individu mais le collectif. Il se montre plutôt qu’il ne se cache. Si bien qu’il a rendu possible le « masstige », en partageant ses secrets avec les autres marques. Qui aurait prédit une collaboration entre DHL et Vêtement ? Karl Lagerfeld et H&M ? Supreme et Louis Vuitton ? En voulant à tout prix s’actualiser et ressembler à leur cible, les marques de luxe s’éparpillent et fragilisent peu à peu leur singularité, s’oublient dans une forme de conformité qui dégrade leur valeur historique, culturelle et symbolique.

Il n’y a qu’à voir le me-too des logos du luxe, essor du flat design et des typographies bâton en noir et blanc. Ou à nouveau Louis Vuitton qui, souhaitant diversifier sa clientèle, s’est perdu dans des campagnes et superproductions aux messages variés, loin de l’imaginaire originel du voyage.

Comment les marques de luxe peuvent-elles se rapprocher sans perdre leur aura ? En capitalisant sur ce qu’elles ont d’unique : pas seulement dans leur savoir-faire produit mais dans la relation qu’elles entretiennent avec leurs publics. Plutôt que de descendre de son piédestal au risque d’être noyée dans la masse, la marque doit chercher à faire venir son public à elle pour le plonger dans un univers singulier et privilégié. En donnant à certains la clé d’entrée d’un univers d’exception, elle saurait partager ses privilèges sans les brader, s’ouvrir sans se confondre.

Cette nouvelle relation « one to one », opposée au « one to many », redonne au luxe son intensité, parce qu’elle valorise l’attention et l’exclusivité. Elle évacue la transaction au profit de l’émotion. Ainsi, le prestige d’une maison comme Hermès ou Krug tient à ce pouvoir immersif dans un rapport d’égal à égal. C’est l’exemple du « carnet Krug », inspiré du carnet de voyage de Joseph II, où la Maison, sans jamais travestir son langage, partage ses secrets à quelques-uns de ses ambassadeurs. Une façon d’inviter chaque visiteur à célébrer les liens que le champagne entretient avec les pays et cultures du monde entier. Conçu comme un support expérientiel et non comme un objet digital explicatif, chaque page tisse avec nous un lien unique, sensoriel et mémorable qui nous entraine au cœur de l’histoire de la maison.

Ainsi, le luxe immerge dans son monde, ouvre la voie à de nouvelles relations et transfère ses propres attributs d’exclusivité au client qui devient par-là même légataire de cette lumière. Dans un contexte de consommation à outrance, qui rejette la surenchère, le luxe doit se situer dans l’être. S’il est remarquable, il doit préférer l’intensité et l’intimité au sensationnalisme. Offrir d’être, plutôt qu’offrir d’avoir. Être visionnaire et exceptionnel. En un sens, il doit être humain en faisant vivre ce qui ne s’achète pas : la valeur d’un instant rare et partagé.